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Tribune de David Lisnard : « Aux plages citoyens »

« Le 28 juillet dernier, les circonstances m’ont mené de façon pragmatique, pour des raisons d’ordre public, à prendre un arrêté municipal interdisant l’accès aux plages cannoises et à la baignade aux personnes en tenue de bain intégrale et ostentatoire.

J’ai pris cet arrêté, parmi d’autres, à l’occasion de la prolongation de l’état d’urgence après la tragédie de Nice. Fort de constats et alertes, de surcroit dans le contexte d’extrême tension qui a succédé à l’attentat de Nice et de Saint-Etienne du Rouvray, le but était de donner un cadre juridique d’intervention à la police municipale afin de prévenir des situations de provocations avérées et de veiller à l’ordre public.

Alors que pour ma part je n’avais donné aucune publicité à cette initiative et que sur le terrain l’arrêté était appliqué sans difficultés, la polémique est née trois semaines plus tard, à l’initiative d’une association communautariste (Fédération des Musulmans du Sud), rejointe par la Ligue des Droits de l’Homme puis le Collectif Contre l’Islamophobie en France, qui ont communiqué tous azimuts, de façon agressive et péremptoire, présentant la mesure comme « stigmatisante », « islamophobe », etc.

Notons à ce stade que le courage de ces organisations est sélectif et par exemple qu’elles n’ont ni défendu ni engagé la moindre action pour défendre la liberté et la dignité d’une femme musulmane, serveuse dans un café, violemment frappée en plein service par un homme de même confession, le 6 juin dernier parce que dans le cadre de son travail elle servait de l’alcool durant le ramadan. Cette femme musulmane méritait d’être fortement soutenue et cet acte condamné et dénoncé. Ces associations préfèrent manifestement organiser leur influence pour défendre le burkini. A chacun sa conception de la condition féminine et de la protection des droits de la femme.

Si la polémique, hélas souvent hystérique, a enflé cet été, c’est parce que derrière cette question de tenues de bain connotées, est en jeu notre modèle républicain.

Le thermomètre n’est pas coupable de la fièvre, il en donne la mesure

L’arrêté municipal du 28 juillet non seulement répondait à des circonstances particulières, mais a succédé à d’autres mesures destinées à garantir l’ordre public face à l’extension du domaine communautariste. Dès l’été 2013, la Mairie de Cannes a dû prendre des dispositions restrictives en matière de tenue vestimentaire pour lutter contre l’expression d’un communautarisme de plus en plus forte. Pour la première fois, une personne s’était présentée à la baignade d’une piscine municipale dans une tenue la recouvrant intégralement. Deux ans plus tard, en 2015, c’est une agence de voyage casher qui réclamait la privatisation de la même piscine pour y organiser des créneaux de baignage séparée pour les hommes et pour les femmes. Quelques semaines plus tard, une école lubavitch faisait à son tour une demande similaire pour ses élèves de primaire.

A chaque fois, les mêmes principes ont été appliqués.

Toutes ces demandes ont ainsi été naturellement refusées, sans que nous soyons traités à l’époque d’antisémites ou de liberticides par qui que ce soit. Enfin, le conseil municipal a délibéré à l’unanimité le 22 juin 2015 pour introduire dans le règlement intérieur des équipements sportifs le « respect de la laïcité, du principe d’égalité d’accès des usagers et de la mixité ».

Les lois de la République avant la loi de Dieu

Nous nous trouvons en fait face à deux légitimités : celle d’une liberté individuelle qui entend que l’on puisse se comporter (s’habiller en l’occurrence)  comme on veut, quand on veut, où l’on veut ; et celle d’une nécessité collective d’organiser la vie en commun sur l’espace public.

Certains argumentent sur le caractère dérisoire de ces maillots nouvellement apparus, voire estiment qu’ils permettent à des femmes qui s’en privaient avant de se baigner. D’autres – c’est mon cas – considèrent que ces tenues marquent au contraire une progression de la radicalisation islamiste sur les espaces de loisirs jusqu’alors préservés de toutes revendications communautaristes, en l’occurrence qui renvoient à une idéologie dangereuse, c’est un euphémisme, et qui se répand.

Le débat mérite d’être posé au-delà de la question du burkini et il est difficile à trancher.

Face à cette dualité d’intérêt, relire Emmanuel Kant nous remémore que « le droit est l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder à la liberté de tous ».

Ma conviction est que dans notre République, on ne doit pas accéder aux revendications dogmatiques exclusives et que la responsabilité est de veiller à l’ordre public et de créer du lien entre tous les citoyens, au-delà des singularités individuelles. Refuser dans certaines circonstances et certains lieux les tenues ostentatoires d’appartenance religieuse, qui enferment l’individu dans un élément  de son identité (qui devrait être un élément d’identité parmi d’autres) plutôt que de l’ouvrir à sa citoyenneté, est dans le contexte actuel une nécessité pour la République et le vivre-ensemble. C’est cela que les arrêtés municipaux voulaient sécuriser et « sanctuariser » face à ceux qui confondent parfois l’espace public avec un espace d’intimité.

En France, depuis que la démocratie républicaine s’est instaurée, la loi de Dieu passe après la loi des hommes, c’est-à-dire du Parlement et des Assemblées décentralisées élus au suffrage universel. Et c’est bien ainsi.

Se pose dès lors la question de l’identité individuelle qui doit être complexe et non focalisée sur une seule composante de sa propre histoire. Or, la radicalisation dans une identité monolithique est actuellement très inquiétante, avec des replis catalysés par l’information continue et les réseaux sociaux qui incitent à la réaction simpliste, manichéenne.

Nous devons renforcer la société par l’intégration

Le fameux « vivre ensemble », c’est bien sûr accepter les différences ; le « vivre ensemble en République » que je lui préfère, c’est construire du sens commun, veiller au respect de règles qui évitent dans les espaces de relations sociales des attitudes communautaristes porteuses de forces centrifuges, de séparation entre individus et entre groupes, d’affrontement potentiels.

Il y a eu une « intox », hélas relayée par des médias et sur les réseaux sociaux, visant non pas à contester  les arrêtés municipaux (ce qui est légitime en démocratie et le Conseil d’Etat a tranché en droit) mais à dénigrer ceux qui les ont émis et ceux qui les exécutent, les policiers (ce qui porte atteinte à l’autorité républicaine), qui « stigmatiseraient » les musulmans alors qu’ils ne font que constater une infraction sur une règle de portée générale qui ne désigne pas une catégorie de personnes mais un acte prohibé. Cette dérive propagandiste est très dangereuse car elle vise à générer un sentiment d’humiliation pour les musulmans qui se sentent ainsi ciblés, ce qui est porteur de frustration, de violence et de repli potentiels.

Il faut sortir de cette spirale infernale en régénérant la notion de « citoyen ».

L’enjeu n’est pas religieux mais politique

Les Français musulmans ont toute leur place dans la société française, cela doit être dit et vécu sur l’ensemble du territoire, au même titre que tous les citoyens. De même que les juifs, chrétiens, bouddhistes, athées, agnostiques, etc. n’ont pas à s’excuser d’être ce qu’ils sont, les musulmans n’ont pas à s’excuser d’être musulmans.

Et comme l’égalité des droits implique l’égalité des devoirs, tous les citoyens, y compris musulmans, doivent participer à ce défi majeur qu’est la lutte contre l’islamisme et le phénomène grandissant de revendications religieuses – ou d’apparence religieuse – dont se servent les mouvements wahhabite, salafiste et dérivés dans leur projet  destructeur, totalitaire, nihiliste, de transformation de notre société et d’asservissement de tous.

Car l’enjeu est là, il est politique au sens noble du terme, et non pas religieux. Il n’y a, dans mon approche, ni stigmatisation ni amalgame de quelque croyant que ce soit, mais le refus de la salafisation de notre société inspirée des Lumières. Car que dit le brukini, tout comme la burqa, à la culture européenne, au mode de vie occidental (certes évolutif, mais qui doit être respecté dans ses fondamentaux), à l’inconscient collectif français ? Il insinue, sur nos plages comme sur le reste de l’espace public, que seules les femmes qui se dérobent au regard de l’autre, en s’enfermant entre quatre murs ou sous un habit intégral, sont dignes de vertu. A contrario, cela devrait laisser penser que toutes les autres sont des « filles de joie ». Il est là le perfide message salafiste qui veut pénétrer et métastaser notre société. Nous devons le rejeter tous ensemble, parce qu’il menace évidemment l’ordre public du pays et le progrès social acquis au gré des décennies.

La meilleure parade à l’amalgame tant redouté et dénoncé par anticipation est que tous les Français musulmans participent à ce combat contre une idéologie sectaire et dangereuse, qui fait son nid dans une partie de l’Islam, et dénoncent ces pratiques dont ils sont les premières victimes.

La puissance publique, à l’échelle nationale comme locale, doit agir avec sang-froid mais fermeté pour rappeler chacun à sa citoyenneté avant sa singularité spirituelle. C’est ainsi que s’est construite longuement, et parfois douloureusement, la société française pour devenir une démocratie républicaine. C’est ainsi que nous vivons et que nous voulons continuer de vivre en renforçant le sentiment d’appartenance à la France, à son histoire et à ses valeurs, la fierté d’être Français avec tout ce que cette dignité donne de droits et impose de devoirs à tous les citoyens.

Dans ce débat, la position claire du Premier Ministre est bienvenue lorsqu’il juge que Dénoncer cette tenue, « ce n’est en aucun cas mettre en cause une liberté individuelle. Il n’y a pas de liberté qui enferme les femmes ! C’est dénoncer un islamisme mortifère, rétrograde. Une vision que je n’accepte pas au nom même de la place que l’islam doit trouver dans notre société. », mais il aurait été préférable que les actes suivent les paroles. Ainsi, les maires qui, eux, n’oublient pas leurs responsabilités dans le contrat social, ne seraient plus seuls en première ligne pour défendre la République. Nous le savons depuis Jean-Jacques Rousseau : « l’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite est liberté ». Si certains magistrats du Conseil d’Etat estiment que le droit ne permet pas cette affirmation de règles de vivre ensemble, il faut alors faire évoluer le droit.

Ce qui nous aidera à passer à autre chose !

Des sujets cruciaux s’imposent aux élus nationaux comme locaux : comment retrouver la prospérité économique, favoriser la compétitivité de nos entreprises et donc le retour à l’emploi, désendetter la puissance publique et renforcer l’autorité de l’Etat régalien si malmenée, réformer l’Education Nationale dont nous voyons aujourd’hui les difficultés et les incongruités programmatiques comme méthodologiques, appréhender les défis du transhumanisme, progresser sur le plan écologique, promouvoir la culture enfin qui est, avec l’éducation, la meilleure arme contre l’obscurantisme, bref comment réparer notre pays et préparer l’avenir. Mais pour passer à cela, comme je le fais dans le cadre municipal depuis 2014, il faut aussi régler la question non pas simplement d’un maillot de bain, mais de l’avenir que nous voulons donner à notre modèle républicain et à la notion de citoyenneté en France. »

David LISNARD

Cannes, le 31 août 2016

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